La pédagogie de Jean Claude Leportier
Des circassiens qui avaient déjà utilisé des marionnette dans un de leur spectacle ( » La monstrueuse parade « *) sont venu participer à mes stages parce qu‘ils manquaient de mots pour en parler.
Avoir des mots pour parler du langage, de son acquisition et de sa pratique, c’est identifier un certain nombre de problèmes et de solutions, c’est pouvoir analyser ensemble les ressorts de ce langage, son vocabulaire, sa syntaxe.
Je propose ici les notes que j’ai rédigé au cours de mon enseignement. Incomplètes, je vous les livre dans leur état évolutif.
* Premier spectacle d’une des dernières promotions de l’école de cirque de Toulouse
CONTENU:
PRÉLIMINAIRES
Comment sont organisées ces notes
Qu’est ce qu’une marionnette
Comment nommer
Notre choix d’un style pour l’initiation au langage marionnette :
» La marionnette sur table »
Quelques principes:
– Le langage se construit en faisant résonner les uns sur les autres trois points de vue
– La question du modèle
– Technique et expression
– Objet / Sujet
– Métaphore active
– Qu’est ce qu’une « action »
L’ESPACE DE JEU DE LA MARIONNETTE SUR TABLE
La place de l’acteur marionnettiste
Le plateau
Le corps obstacle de l’acteur marionnettiste
Le corps support / le corps décor de l’acteur marionnettiste
Entrées en scène et sorties de scène
Positions fortes, positions faibles
Correction d’angle de jeu
Gérer l’espace du plateau
– La profondeur
– Quelle main pour quel sens de jeu
– Changement de main
L’INSTRUMENT MARIONNETTE / L’INSTRUMENTISTE
Position 0 de la marionnette
La marionnette idéale (définition technique)
La position 0 de l’acteur marionnettiste (définition technique et athlétique)
Message pour le constructeur de marionnette
Relaxation tonique
MARIONNETTE… LE REGARD (cliquer)
Voyons le cas ou un personnage marionnette » ne fait rien « .
Pour aller plus loin voyons comment s’exprime le » je vois » de la marionnette
La présence
Accent
Rythme
Quelques autres repères pour organiser le jeu de regard
Amplitude
Le regard précède l’action
Focus
– Ou poser le regard s’il est intériorisé
– Regard perdu, regard d’aveugle
– Habiter l’espace hors plateau
– La projection
– Dialogue de face
Mise en place du jeu
– Organisation du jeu en distribuant les focus du personnage
– Cas des yeux mobiles
MARIONNETTE… LA PAROLE (cliquer)
Le phrasé
Comment phraser ?
C’est en mettant tout d’abord l’attention sur le texte que nous allons commencer le travail.
On ne peut isoler l’action parole de l’action regard.
L’adresse
La gestuelle du phrasé
Un phrasé bien articulé
La parole est dans le geste
Attention au retour
La parole peut s’organiser sur le rythme d’une autre action
Pour que le phrasé gagne en visibilité
Parole et émotion
Le traitement particulier du dialogue
Ce qui permet de distinguer le sujet parlant de celui qui écoute
On a vu qu’il faut tricher
Il y a une solution lumineuse, c’est le dialogue face public
Et quand il n’y a plus de phrasé mais que la parole perdure
Dans le cas d’une voix intérieure
Dans le cas d’un commentaire ou d’une réflexion qu’il se fait à lui-même
En guise de conclusion : Une intelligence du texte
MARIONNETTE…LES ARTIFICES DU LANGAGE (en préparation)
MARIONNETTE…NATURALISME ET SYMBOLISME (cliquer)
Introduction au jeu symboliste
(A suivre)
En préparation:
MARIONNETTE…LA PLACE DE L’ILLUSION
MARIONNETTE…LA GRAVITE
MARIONNETTE…DÉPENDANCE ET LIBERTÉ
MARIONNETTE…L’ÂME
MARIONNETTE…LE POINT DE VUE DU SPECTATEUR
MARIONNETTE…QUESTION D’ÉNERGIE
PRÉLIMINAIRES
Comment sont organisées ces notes
Nous tenterons de suivre dans ces notes la même progression que nous suivons avec nos étudiants :
Nous partirons de la matérialité de l’objet marionnette et de sa mise en jeu dans l’espace qui lui correspond.
Étudier donc d’abord la marionnette pour elle-même. Puis sa relation à l’acteur marionnettiste qui s’est mis à son service en l’animant.
Puis un développement de cette relation quand elle devient une relation de partenaires : personnage marionnette confronté à un personnage acteur.
Puis nous aborderons l’écriture dramatique et la mise en scène dans ce qu’elles ont de spécifique pour cette discipline.
Nous procéderons par thèmes en sachant que dans la réalité du travail ils se recoupent et renvoient les uns aux autres.
Nous définissons le langage marionnette comme la mise en jeu théâtral d’un objet quand il prend un rôle de personnage. C’est dans le déroulement du temps théâtral et dans sa relation au comédien marionnettiste et au spectateur que l’objet marionnette prend sa qualité de personnage.
Notre concept marionnette est donc large et intègre des styles, des techniques et des situations très variées.
Notre choix d’un style pour l’initiation au langage marionnette : La marionnette sur table
Animées sur un plateau situé entre 60 cm et 80 cm du sol, elles sont de taille moyenne (30 à 70 cm), construite en matériaux souples (textiles) et sont équipées d’un contrôle principal derrière la tête et d’un autre en bas du dos.
Nous les animons » à vue » dans un espace nu, le plus souvent (fond noir).
Ces marionnettes ont un bon potentiel expressif et une souplesse de jeu qui leur permet de tenir la scène longtemps. Elles ont une capacité expressive suffisamment ample pour nous permettre de définir avec elles un alphabet et une syntaxe qui pourra être transposé par la suite à d’autres styles de marionnettes.
- Le praticien :
- Manipulateur : Celui qui manipule. On peut manipuler n’importe quoi… une fourchette, un marteau. Je n’aime pas ce terme qui réduit à une fonction très technique : ce qu’on actionne avec la main.
- Animateur : celui qui anime. Donner une âme ressemble plus à la relation du marionnettiste à sa marionnette. Dommage qu’il y ait une ambiguïté avec un autre métier qui peut aussi » utiliser » des marionnettes mais qui n’est pas celui que nous considérons ici.
- Acteur/manipulateur : C’est un personnage malveillant et qui manœuvre des gens à leur insu.
- Acteur/animateur : C’est celui qui anime des ateliers théâtre
- Je préfère acteur/marionnettiste car cette appellation désigne l’interprète de théâtre qui domine cette discipline d’instrumentiste qu’est le jeu avec marionnettes. Par contre j’utiliserais » manipulateur « quand je voudrais nommer le marionnettiste dans la partie technique de son interprétation.
L’instrument :
Si je désigne l’objet (l’instrument) je dis : » la marionnette « .
Si je désigne le » sujet qui joue » et si ce sujet est une marionnette je l’appellerai : » le personnage marionnette « .
Quelques principes auxquels nous allons faire souvent référence
Le langage se construit en faisant résonner les uns sur les autres trois points de vue
1. Celui de l’acteur marionnettiste
2. Celui de la marionnette
3. Celui du spectateur
Il est question ici du modèle anthropomorphique.
Ce terme : » modèle » ne doit pas être pris au pied de la lettre puisque le langage théâtral de la marionnette n’est pas un copié collé de la réalité, mais une construction qui s’établi en accord avec les trois points de vue précédemment cités.
Ce modèle est donc une référence indispensable pour rendre le jeu de la marionnette compréhensible ; mais son langage doit être réévalué à la lumière de sa fonctionnalité scénique.
Il y a dans la manipulation à vue une évidente dépendance technique entre la marionnette et l’acteur marionnettiste. Elle n’est pas cachée mais doit passer en second plan. L’attention du spectateur doit donc être conduite sur le jeu du personnage marionnette (ce que nous appellerons » le message « ) et glisser sur l’intervention technique du » manipulateur « .
Nous employons le terme » expression » pour désigner le message adressé au spectateur.
Nous employons le terme » technique » pour désigner tout ce qui ne fait pas partie du message, tout ce qui ne doit pas être porté à son attention.
Ainsi nous parlerons par exemple :
– d’une » main technique « . C’est celle du manipulateur. Celle qui doit se faire oublier.
– d’une » main expressive « . C’est celle qui joue, celle de l’acteur.
– d’un » espace technique « . Celui que le spectateur ne doit pas considérer.
– d’un » espace expressif « . Celui qui est représenté.
Notre tâche est d’organiser le jeu de façon à conduire l’attention du spectateur.
C’est cette ambiguïté (à la fois sujet et objet) qui donne à la marionnette son étrange pouvoir hypnotique. Par contre nous devons être très clair au moment de la mise en place du jeu pour qu’il n’y ait pas de confusion entre ces deux états :
– Soit elle est le sujet et donc l’origine de l’action. C’est elle qui a la volonté d’agir ; c’est du moins ce que veut croire le spectateur.
– Soit elle est un objet inerte dans les mains du marionnettiste.
Il nous parait nécessaire pour construire le langage scénique de contrôler leur permanence, leur alternance ou les glissements d’un état à l’autre.
Le personnage marionnette n’est pas incarné, il est une métaphore, il n’est que langage. C’est ce langage qui lui donne une réalité.
Pour exister, il doit être en action. Il ne peut s’en passer.
Comme un oiseau qui a toujours besoin d’un appui sur l’air pour voler, le personnage marionnette a toujours besoin d’être en action pour exister.
Action interne ou externe, ample ou minimale. S’il n’est plus en action il quitte son statut de sujet pour redevenir » objet « . Et l’oiseau qui n’est plus en appui sur l’air devient une petite masse d’os et de chair écrasée sur le sol.
L’action n’est pas le fait de bouger et de s’agiter. » Etre en action » veut dire que le personnage est occupé à quelque chose et que ce quelque chose est communiqué au spectateur.
Dans la mesure ou le spectateur à devant lui un sujet il va tenter d’interpréter ce qui arrive au personnage à travers tous les signes que le jeu lui propose.
Être en action = proposer des signes.
Nous parlerons d’action regard, d’action pensée, d’action sentiment, d’action déplacement, etc…
L’ESPACE DE JEU DE LA MARIONNETTE SUR TABLE
La place de l’acteur marionnettiste
Dans un premier temps nous allons mettre l’acteur/marionnettiste au service de son instrument et étudier le jeu de la marionnette pour elle-même.
Dans ce cas l’acteur marionnettiste » reste dans l’ombre « , en second plan. Vêtu de la même couleur sombre que le fond devant lequel il évolue, il accroche peu l’attention du spectateur qui peut se concentrer sur le personnage marionnette.
Devant lui est un plateau couvert d’un tapis : la » table » de la » marionnette sur table « .
Dans sa plus simple expression ce plateau est un non endroit (autant que la scène de théâtre pour l’acteur). C’est un support technique qui a besoin d’être défini par » l’expression « .
Pour simplifier l’explication nous allons nous placer du point de vue du personnage marionnette :
Il ignore le marionnettiste dans son espace technique à l’arrière de la table.
Il ignore les bords de la table. La surface sur laquelle il évolue est continue, c’est la surface du monde.
Il est seul debout au milieu de ce monde comme l’est un acteur seul au milieu d’un plateau de théâtre.
Mais… Les qualités techniques de la table peuvent aussi être utilisées : Arrivant au bord de la table, montrant qu’il en a une conscience sensible il se retrouve au bord d’un espace infranchissable, d’un ravin, d’un trou dans lequel il peut chuter ou qui l’empêche de poursuivre un personnage volant ou un ballon emporté par le vent.
C’est le jeu du personnage marionnette (son jeu de prise de conscience du lieu) qui va transformer les potentiels techniques de la table en lieux objectifs (dans le domaine expressif)
Il peut ignorer le bord arrière de la table ou l’utiliser comme:
– Un trou où on peut chuter et d’où on peut ressortir. Où on se cache, d’où on peut jaillir.
– La crête de la pente abrupte ou tout autre escarpement qu’on a escaladé pour arriver sur le plateau
– Une cage d’escalier ou une cage d’ascenseur
– Etc.…
Le corps obstacle de l’acteur marionnettiste
Nous avons dit que le personnage marionnette ignore la présence de l’acteur marionnettiste. Il l’ignore dans sa fonction d’instrumentiste et dans sa qualité de personne mais pas dans sa qualité matérielle. Il peut rencontrer son corps qui devient alors un obstacle, un élément de décor, un élément topographique, une falaise, une colline avec balcons et grottes. Il peut grimper dessus, se servir de son relief.
Le corps support / le corps décor de l’acteur marionnettiste
En élargissant un peu notre propos nous pouvons proposer au même personnage marionnette un espace différent de celui de la table.
Supprimons le plateau de table et utilisons le corps entier de l’acteur marionnettiste (ou les corps s’ils sont plusieurs) combiné au sol réel pour créer des espaces, des architectures qui peuvent figurer selon les besoins un grand nombre de lieux objectifs.
Entrées en scène et sorties de scène
D’où vont entrer et sortir nos personnages marionnettes ?
Le corps obstacle de l’acteur marionnettiste nous propose des solutions en se substituant aux jambages des rideaux d’un théâtre ou aux décors mais il reste le problème de son passage presque obligé sur le sol virtuel au-delà de la table avant de prendre pied réellement sur du solide.
Étantdonné que la marionnette est en jeu dès qu’elle est vue par le spectateur, ce jeu ne doit pas dévoiler la transition mais la faire oublier.
Positions forte, positions faibles
Elles se définissent par rapport au regard du spectateur.
Quand le personnage marionnette est face public il est dans sa position la plus forte.
La confrontation des regards du personnage marionnette et du spectateur fait que celui-ci est capté dans une relation d’individu à individu. Il n’est plus observateur mais partenaire.
Quand le personnage marionnette pivote jusqu’à sa position de profil toutes les positions qu’il traverse sont fortes ; mais elle s’affaiblissent prés du profil. En effet le profil marque une limite. On peut observer que dans ce cas la main technique du marionnettiste est présente au même niveau que le personnage marionnette
Les positions trois quart dos et dos sont franchement faibles puisque les éléments techniques sont là en premier plan. On peut passer rapidement dans ces positions si on ne peut les éviter.
On cherchera dans le jeu à privilégier les positions fortes.
Malgré le fait que le jeu de la marionnette se limite à la moitié des postures d’un acteur il doit donner une sensation de liberté de mouvement dans l’espace. Je dirais pour faire image que c’est un jeu en pointillés qui donne l’impression d’être une ligne continue.
Un exemple pour illustrer ce thème :
Deux personnages marionnette conversent. Pour ce faire ils devraient se situer face à face et donc se retrouver de profil pour le spectateur. Ils devraient…. En fait on triche. On ne fait pas un vrai face à face. On ouvre un peu vers le public. Les marionnettistes ont une sensation de faux mais, pour le spectateur, c’est vraisemblable. De plus il ne perd pas le contact avec les personnages.
On va chercher à privilégier les positions fortes : face et ¾ avant, quand le parti pris de jeu le rend possible. Un dialogue où les personnages sont face public en se jetant de temps en temps des regards pour garder le contact est tout à fait crédible.
Du point de vue du spectateur le fait que le personnage marionnette joue sur la partie avant ou sur la partie arrière de la table ne change pas grand-chose.
Par contre l’acteur marionnettiste est en position difficile quand il joue sur la partie avant. :
Il est complètement en porte à faux
Il rentre carrément dans l’espace expressif du personnage marionnette
Il rentre en pleine lumière
On évitera donc de jouer dans la partie avant de la table.
Quelle main pour quel sens de jeu :
Celle qui manœuvre le contrôle principal de la marionnette (derrière la tête) sera de préférence :
La main droite quand le personnage marionnette joue de jardin à cours.
La main gauche quand le personnage marionnette joue de cours à jardin.
Elle sera ainsi dans une position plus axiale par rapport à la marionnette, plus près de la position idéale.
L’autre main sera disponible en arrière plan pour manœuvrer le bras gauche dans le premier cas et le droit dans le second.
L’autre bras de la marionnette étant côté public, sa manipulation doit être beaucoup plus discrète voire même à éviter complètement dans la mesure où la main technique du marionnettiste viendrait se positionner entre le personnage marionnette et le spectateur.
Dans le cours d’une séquence le personnage marionnette devra sans doute jouer de cours à jardin puis de jardin à cours. Il faudra effectuer un changement de main.
Ce changement de main ne peut se faire sans quelques mouvements parasites. On profitera donc d’un moment ou le personnage marionnette est en mouvement ; sinon on placera là une action gestuelle pour pouvoir y dissimuler ces scories parasites.
L’INSTRUMENT MARIONNETTE / L’INSTRUMENTISTE
Dans cette position la marionnette est debout sur ses jambes, droite, le regard à l’horizon.
Cette posture de base peut différer légèrement en fonction des caractères de personnages. C’est une posture autant expressive que technique.
La marionnette idéale (définition technique)
Ce sera celle qui dans sa position 0 sera debout, en équilibre et portera son poids.
La main du manipulateur sur son contrôle ne fera que « l’accompagner ».
Il se peut bien sûr que certaines marionnettes ne puissent s’appuyer sur leurs jambes et qu’il faille les porter. Si elles sont légères cela ne posera pas de problème. Mais il reste que l’idée d’équilibre avec un moindre effort du manipulateur reste valable.
La position 0 de l’acteur marionnettiste (définition technique et athlétique)
Le principe qu’on retrouve toujours est la recherche d’une économie d’énergie et l’élimination des tensions.
La posture de l’acteur marionnettiste doit être confortable pour lui permettre d’être disponible à sa fonction. En effet, dans le cas contraire, efforts et tension passeraient probablement dans le jeu du personnage marionnette et parasiteraient le message transmis au spectateur.
Description :
La main est tonique mais relaxée.
Le poignet de la main qui tient le contrôle principal de la marionnette est dans le prolongement du bras donc capable de rotations et de torsions dans tous les sens.
L’avant bras cherche l’horizontal mais son angle s’adapte à la taille de la marionnette et à la hauteur du plateau (voir plus loin chapitre :…. )
Les épaules sont bases.
Le torse droit.
Le bassin vertical
Les articulations des jambes souples (non bloquées). On descendra un peu le centre de gravité pour être plus dans le sol, plus stable.
Les pieds légèrement écartés pour assurer la stabilité
La respiration tranquille (profonde et sans tensions)
Message pour le constructeur de marionnette
La forme du contrôle est souvent un problème pour l’acteur marionnettiste.
Il faut donc dessiner les contrôles de façon à lui permettre d’être disponible en posant les questions suivantes :
A quelle hauteur sera le contrôle ?
A cette hauteur quelle serait la position du poignet de l’acteur marionnettiste ?
En respectant le principe du poignet dans le prolongement du bras on définira l’inclinaison et la forme du contrôle.
C’est l’état qui conjugue force et sensibilité.
L’acteur marionnettiste fourni l’effort nécessaire à la mise en mouvement de la marionnette mais doit être capable en même temps et par le même canal de sentir les réactions de l’objet aux sollicitations : son poids, son inertie, son équilibre. Pour ce faire il doit éliminer les tensions et permettre ainsi à » l’énergie » de circuler.
C’est ce qui permet la finesse du jeu où la moindre palpitation de l’acteur marionnettiste est transmise à la marionnette et captée par l’observateur. C’est ce qui permet au personnage marionnette d’exprimer une intériorité crédible.
Cette qualité de présence énergétique n’est pas spécifique au travail de l’acteur marionnettiste on peut s’y initier auprès d’autres disciplines (la danse, les arts martiaux, la musique instrumentale). Elle s’appuie sur la respiration.
MARIONNETTE…LE REGARD
Un regard bien contrôlé et voilà un personnage marionnette qui se met à vivre. La vue est notre sens premier. Il en est de même pour le personnage marionnette. C’est par le jeu de son regard qu’il nous informe de sa relation avec le monde extérieur ou de son retrait dans son intimité.
Généralement le constructeur de marionnette lui a fait des yeux fixes. Ce sont les mouvements de sa tête qui vont figurer les mouvements de ses yeux. (Voir plus loin le cas où les yeux de la marionnette sont mobiles)
Voyons le cas ou un personnage marionnette » ne fait rien « .
Reportons nous au modèle. Que font nos yeux quand nous sommes assis dans une salle d’attente ?
Ils ne cessent d’aller vivement d’un endroit à un autre, curieux de ce lieu qu’ils ne connaissent pas. Ils sont en contact avec l’environnement.
Si le rythme de ces mouvements ralenti ou si les yeux s’arrêtent sur un objet et s’y oublient, nous voilà parti dans une rêverie.
Il en est de même pour un personnage marionnette. Ses mouvements de tête vif (sans être amples) ou ralentis expriment un contact avec l’environnement ou une intériorisation.
Dans le cas d’une salle d’attente l’action regard s’accompagne d’autres actions minimes, des mouvements de » confort » : le personnage remue, fait un contact avec ce sur quoi il est assis, son dos le gratte, il change de position, il respire. Il y a toujours au minimum une pulsation de vie qui s’exprime par de légers tassements, de légers étirements. J’appelle cela un » jeu minimum « . Le personnage » ne fait rien » mais il est toujours en action.
Pour aller plus loin voyons comment s’exprime le » je vois » de la marionnette
Il ne suffit pas qu’il pose son regard quelque part pour donner à croire que le personnage marionnette regarde. Il faut en plus une prise de conscience.
Le » je vois » se réalise en deux temps :
-l’évènement sensible : l’objet arrive au centre du champs visuel du personnage
-La prise de conscience : Cela s’exprime le plus souvent par un » accent » qui indique au spectateur que le personnage a vu.
Cet accent n’est pas naturaliste. Il s’agit d’un petit mouvement vif vers l’avant (vu quelque chose de favorable) ou vers l’arrière (vu quelque chose de défavorable : danger, désagrément, mauvaise surprise)
Si le personnage est en mouvement, le brusque et incisif arrêt de ce mouvement nous informe que quelque chose arrive au personnage ce qui peut être suffisant pour exprimer le » j’ai vu « .
On peut faire varier le timing de ces deux temps ; on crée ainsi des » je vois » de qualités différentes.
Cas particulier : la prise de conscience arrive avec du retard alors que le contact sensible est passé.
Plusieurs façons de le jouer
1) En 1 temps : le mouvement se termine par un brusque retour sur l’objet
2) En 2 temps : Le personnage arrête soudain son mouvement ( » il m’arrive quelque chose » !) puis revient planter son regard sur l’objet.
Variante (pour accentuer une surprise, façon clown): le » double neck « . C’est la première façon répétée deux fois à la suite comme si le personnage doutait de sa première prise de conscience.
Un personnage marionnette qui était parti dans une rêverie prend soudain conscience qu’on le regarde. Son regard va faire un contact avec ces gens qui le regardent. Il est tout à coup très présent. C’est la qualité de son » action regard » qui va exprimer cela.
Il va exécuter des petits mouvements vifs qui passent d’une personne à une autre. Comme si ce jeu de regard était des » je vois » successifs. C’est ainsi que l’action regard est la plus présente et la plus chargée d’énergie relationnelle.
En généralisant : pour être très présent à l’environnement, le regard va circuler par des petits mouvements vifs d’un point à un autre.
Le regard qui balaye est déjà moins présent car il est dans une quête sensible (la première phase du » je vois « ). Si, de plus, son rythme ralenti, l’attention du personnage s’intériorise.
C’est l’expression externe d’un évènement interne. Quelque chose arrive soudain au personnage.
Il sert à exprimer la surprise, la prise de conscience du » je vois » ou du » j’entends « , l’arrivée brusque d’une idée dans la tête du personnage, un éclair de compréhension, un souvenir qui fait irruption, etc.…
Il doit avoir la qualité de l’action intérieure pour en être un bon témoignage : rapide, incisive, légère ou appuyée, bien située par rapport aux autres actions.
Il se joue par une tension, un arrêt ou un brusque changement de rythme ou par un mouvement inventé pas tout à fait naturaliste (ce petit sursaut vers l’avant ou vers l’arrière dont j’ai parlé). Ce mouvement, bien que je le dise » inventé » est très compréhensible par le spectateur. Un être humain pourrait le faire dans cette situation. Les artifices que j’utilise sont des mouvements possibles d’un être humain mis dans cette situation. Dans le langage recomposé de la marionnette je les systématise pour palier les limites de l’instrument.
Le timing des actions peut faire varier leur propos du tout au tout.
Exemple : Si nous reprenons cette action regard très présente qui se joue par des petits mouvements vifs passant d’un point à un autre. Ralentissons son rythme : le personnage regarde bien quelqu’un ou quelque chose mais il a le temps d’une réflexion sur ce quelqu’un ou ce quelque chose. Ralentissons le encore : le personnage est parti dans une rêverie. Son regard se pose mais ne voit plus. Son attention est sur son film intérieur… son regard passe d’un point à un autre pourtant il ne fait pas de contact avec l’environnement!
Quelques autres repères pour organiser le jeu de regard
Autant que pour le phrasé, l’action regard peut impliquer le torse ou même toute la marionnette. Cela correspond à différents critères : la lisibilité du jeu (pour des spectateurs éloignés, jouer grand !), la dynamique de l’action, le style de personnage et de jeu (ex : exagération à la Tex Avery) Quand l’amplitude est réduite l’action regard doit être simple, précise, incisive.
En termes d’amplitude on peut repérer trois qualités de regards. On peut bien sûr les combiner :
– Un regard qui balaye largement l’espace
– Un regard qui prend en compte un morceau de l’espace
– Un regard focalisé sur un point.
Dans la réalité, avant de nous déplacer dans un espace nous faisons un repérage visuel. Avant de nous asseoir nous jetons un coup d’œil à ce sur quoi nous allons poser nos fesses. Le plus souvent nos mouvements et déplacements sont précédés d’une » action regard » de repérage. En effet nous avons besoin de savoir où nous sommes, si l’endroit est favorable ou défavorable.
Par contre s’il n’y a pas d’action regard c’est que l’endroit est familier que nous en connaissons les mesures. Nous appliquons cela au jeu de marionnettes.
Où poser le regard s’il est intériorisé
Un regard possédant une fixité exprimera bien plus l’état de réflexion ou de rêverie s’il est dirigé vers le haut (ciel) ou vers le bas (terre). En effet un regard horizontal a tendance à indiquer un contact avec l’environnement. La réalité humaine est à hauteur humaine.
Regard perdu, regard d’aveugle
Il est insensible. Il ne sert pas à situer ou à repérer. Il est à la dérive, il n’a plus de propos. Il est inerte.
On repère d’ailleurs un aveugle par le fait que son regard ne se coordonne pas à ses mouvements.
Le jeu de regard permet de situer des objets, des personnages ou des espaces hors plateau pour les prendre en compte dans le jeu.
C’est une convention du mime
Elle correspond à un style de jeu ou l’acteur est en connivence avec le public. Le personnage est-il surpris ou effrayé en apercevant un individu, qu’il s’adresse au public pour lui renvoyer cette surprise ou cette frayeur comme s’il le prenait à témoin.
Donc 2 temps :
1. Le personnage vit une émotion
2. Il la projette au spectateur
Ce style de jeu convient très bien à la marionnette. Il est d’autant plus efficace que la position de face est la plus forte position de l’instrument marionnette.
La position de profil le l’instrument marionnette est une position faible. En effet les yeux et la main technique qui tient le contrôle de la tête sont au même niveau donc ont une même importance visuelle pour le spectateur.
La solution à ce problème est de tricher et d’ouvrir légèrement le regard vers le public. Pour le marionnettiste qui anime la marionnette cette position est fausse mais pour le public elle est juste. On l’utilise quand un jeu face à face entre les personnages marionnettes est parfois nécessaire.
Une autre possibilité pour mettre en scène un dialogue est de le jouer de face. Les personnages marionnette s’adressent au public comme s’ils s’adressaient à leur interlocuteur. Ils se regardent de temps en temps pour garder un contact crédible.
Organisation du jeu en distribuant les focus du personnage
On sait que le jeu de regard est le plus important des artifices du langage marionnette. Il nous informe des qualités des espaces de jeu, de la relation du personnage marionnette avec l’environnement, les interlocuteurs, le spectateur. Il nous livre aussi ses états intérieurs.
On peut donc structurer une séquence en commençant pas définir plusieurs focus. Ce sont des ancres entre lesquelles va se s’articuler et se tendre le jeu du personnage.
Prenons l’exemple d’un monologue. On pourrait définir plusieurs focus :
– Le spectateur auquel il va s’adresser avec plus ou moins de vigueur suivant les variations de son propos. Il va aussi prendre des temps pour vérifier l’effet de ses paroles sur le public (des petits mouvements vifs qui passent d’une personne à une autre)
– Un espace intérieur où il va se faire des commentaires pour lui-même. (Son regard se fixera vers le haut ou le bas. Il ne phrasera pas, ce qui exprimera comme une voix intérieure)
– Des focus situés dans l’espace là où il situe des lieux ou des interlocuteurs réels (c’est-à-dire présents sur le plateau) ou virtuel (situés hors plateau donc suggérés).
Le fait que l’instrument marionnette ait les yeux mobiles lui donne un vocabulaire plus étendu mais ne le dispense pas d’impliquer le corps dans ses actions regard. En effet nous avons besoin qu’il exprime ses états intérieurs pour en faire un personnage crédible. L’anecdote mécanique des yeux mobiles n’est pas du tout suffisante!
MARIONNETTE…LA PAROLE
Dans le jeu de marionnettes l’origine réelle de la voix est distante du personnage marionnette puisqu’elle est émise soit par le marionnettiste soit par une autre personne ou alors elle est une voix enregistrée arrivant à l’oreille du spectateur par l’intermédiaire d’enceintes audio.
D’où que sorte la voix, elle n’a pas pour origine le corps de la marionnette.
Pour que le spectateur puisse attribuer cette voix au personnage marionnette il faut donc user d’un artifice : le phrasé.
C’est une gestuelle qui « prend la parole ». Elle réquisitionne le torse et la tête du personnage marionnette pour scander les sons et les intentions du parlé.
On peut en distinguer plusieurs aspects :
- Le phrasé de l’élocution qui figure la mécanique du parlé et scande chaque son, chaque syllabe. C’est le parlé dans son coté athlétique, le parlé qui articule.
- Le phrasé du sens ou de l’émotion, qui organise le parlé en ménageant des variations d’amplitude, des accents, des suspensions, des pauses.
- Le phrasé qui réquisitionne le rythme d’une autre action que le parlé.
Ces aspects se combinent pour donner la parole au personnage marionnette.
La gestuelle du phrasé n’est pas étrangère au modèle anthropomorphique sinon elle ne serait pas compréhensible. Elle fait référence à des postures que nous prenons, dans la vie réelle, en parlant. Surtout si nous gesticulons sous l’emprise d’une émotion. Nous systématisons ces gestes pour palier aux limitations de l’objet marionnette…qui veut faire croire qu’il est un sujet.
En aucun cas le phrasé ne peut être un mouvement mécaniquement répétitif. Il ne suffit pas d’agiter ou de secouer le personnage marionnette pour lui donner la parole. Il cesserait immédiatement d’être crédible et perdrait l’attention du spectateur.
Il ne suffit pas non plus d’agiter le bras au rythme de la parole ou d’actionner une bouche articulée. En effet la parole provient d’une source intérieure et c’est le jeu du phrasé qui évoque cette origine.
Le phrasé doit donc être « habité »…sensible, inventif et surtout bien articulé.
C’est en mettant tout d’abord l’attention sur le texte que nous allons commencer le travail. Prenons une phrase :
1er exercice : Y appliquer le phrasé de l’élocution. Phraser chaque son. On s’aperçoit alors que le plus souvent on expulse le texte en grappes, en paquets de sons et de mots, beaucoup trop vite. Cet exercice à ceci d’intéressant qu’il va nous obliger à entrer dans l’organisation sonore du parlé et à articuler.
2ème exercice : Tout en conservant l’articulation précédente chercher dans la phrase où sont les sons les plus importants. Accentuer le geste du phrasé qui leur correspond.
3ème exercice : En choisissant maintenant un texte plus long (plusieurs phrases) On va chercher à placer des suspensions, des silences. On s’aperçoit par exemple qu’après avoir accentué un son on a besoin d’une petite suspension avant de continuer.
Puis on va se demander à qui s’adresse le personnage marionnette et quelle relation il installe avec son interlocuteur.
On ne peut isoler l’action parole de l’action regard.
L’adresse
Nous avons vu l’importance du jeu du regard qui situe le personnage marionnette en rapport à l’environnement ou à son intériorité. Il permettra, en se combinant au phrasé de définir l’adresse : A qui la parole s’adresse t-elle ?
Dans la vie réelle une action regard précède l’action parole. Dans le jeu de marionnettes nous conservons cet ordre : le regard repère et désigne l’interlocuteur. Cet interlocuteur demeure le focus principal (direct ou virtuel) de toute l’action parole.
Un phrasé bien articulé :
Souplesse des doigts et du poignet, gestes incisifs, économie et efficacité
La parole est dans le geste.
Dit autrement : le Geste est premier par rapport à la parole. Le geste commence avant que le son ne soit émis.
Observons la fonction de l’air dans l’émission d’un son. Avant de pouvoir faire vibrer les cordes vocales en propulsant de l’air, il faut d’abord inhaler cet air puis exercer une pression sur lui. Il existe donc une amorce gestuelle à l’émission du son.
Ceci dit, le décalage n’est pas grand. Il se sent plus qu’il ne se voit. Néanmoins, si cette priorité du geste n’est pas respectée, le phrasé semblera à la traîne de la voix et ne remplira pas son rôle.
Attention au retour
Quand le phrasé a terminé une phrase sur un accent qui porte le buste et la tête en avant, pensez que le fait de revenir en arrière, s’il n’y a pas d’intention dans ce retour, annule la puissance de l’accent. Le geste du retour doit être chargé de sens autant que les autres.
La parole peut s’organiser sur le rythme d’une autre action :
C’est ce que j’appelle « le phrasé qui réquisitionne le rythme d’une autre action ». Quand un personnage marionnette effectue une action très dynamiques (comme par exemple courir, sauter, danser, tomber, se relever,) l’émission du son, des mots, de la parole se cale sur le rythme des gestes. Et c’est ce qui donne à croire que la parole entendue appartient bien au personnage.
Pour que le phrasé gagne en visibilité
Si le phrasé est juste et incisif il peut, même réduit, bien remplir son rôle. Par contre si on veut lui donner de l’amplitude, comment faire ?
Un mouvement d’arrière en avant est peut visible car il s’effectue dans la ligne de mire du spectateur.
Pour le rendre plus lisible donnons lui de la rondeur. Pensons à une arabesque.
Généralement pour donner plus d’amplitude à un geste on l’amorce par un démarrage dans la direction contraire puis, dans la rondeur, on change sa trajectoire pour lui donner la direction finale. Pensez au geste complet du corps et du bras que vous faites quand vous jetez une pierre.
Pour le rendre plus lisible investissons le plan frontal.
Exercices :
Au lieu de tracer les gestes du phrasé dans la ligne de mire du spectateur, c’est-à-dire d’arrière en avant et d’avant en arrière, nous allons les tracer dans le plan frontal. Nous allons définir des trajectoires a priori : Il vont circuler sur un I (sur une ligne verticale) ou sur une ligne horizontale. On va essayer de les faire circuler sur un V, puis sur un V renversé (pointe en haut), puis sur un X, puis sur un O.
On se rend compte avec surprise que le phrasé du personnage marionnette reste très souvent crédible même avec ces trajectoires de phrasé tirées par les cheveux. Cela nous ouvre des perspectives nouvelles pour caractériser nos personnages.
Si on considère des états émotionnels aussi différents que la déprime ou l’exaspération, on entend bien que la voix d’un personnage vivant ces émotions s’expriment par des gestes de qualités bien différentes.
On a vu que les émotions pétrissent le corps de la marionnette, qu’elles jouent sur des notions d’ouverture/fermeture, d’expansion/tassement, de prise de hauteur/écrasement, d’accélération/ralentissement
Ces états viennent se combiner à la parole et au jeu de regard
Le traitement particulier du dialogue
Ce qui permet de distinguer le sujet parlant de celui qui écoute c’est l’action du phrasé pour l’un et les signes de l’écoute pour l’autre. On pourrait dire l’un est actif et l’autre passif…situation qui alterne dans une conversation.
On a vu qu’il faut tricher sur l’angle de jeu des marionnettes pour que la scène n’échappe pas au spectateur. (cf :L’espace de jeu de la marionnette / Correction d’angle de jeu)
On peut aussi dans certaines situations particulières utiliser une chorégraphie en pivot distribuant alternativement la parole entre celui qui parle et qui est de face et l’autre qui écoute et qui est de dos. Ce type de chorégraphie est intéressant dans un dialogue entre un personnage marionnette et le marionnettiste dans ce sens qu’il permet au marionnettiste d’assumer la voix de sa marionnette sans que sa bouche soit visible (quand il est de dos et la marionnette de face) alors qu’il parle pour son compte quand il est de face. Avec l’inconvénient notoire que les marionnettes (celles qui ont le contrôle derrière la tête) vont mettre en premier plan leur contrôle et la main technique qui les manœuvre.
Il y a une solution lumineuse, c’est le dialogue face public. Les deux personnages sont en situation de dialogue mais font face au public. Ils sont là dans leur position la plus forte (cf : L’espace de jeu de la marionnette/Positions fortes–Positions faibles). Il arrive que dans le réel nous fonctionnions de cette façon :
Exemple : Imaginez que vous conversez avec un ami devant un paysage. Vous vous parlez sans vous regarder, les deux contemplant le panorama. De temps en temps vous vous jetez des coups d’oeil pour vous assurer que l’autre est bien là et attentif. A certains moments forts de la conversation vous vous tournez vers votre interlocuteur mais vous revenez très vite à la contemplation.
On peut reporter cette situation dans un contexte théâtral. Ce n’est plus un paysage qui est en face mais le public. Cette situation a l’avantage de faire participer un maximum le public à cette intimité entre les deux personnages. Elle s’applique parfaitement au jeu de marionnettes.
Et quand il n’y a plus de phrasé mais que la parole perdure
Voilà une nouvelle possibilité qui nous permet d’exprimer une voix intérieure, une voix qui, dans la vie réelle, ne serait pas audible. Mais on ne peut utiliser cette possibilité qu’une fois que le phrasé est bien établi.
Nous avons là deux cas de figure :
- Soit c’est une voix intérieure. La voix de sa conscience, une voix divine, celle d’un conseillé intime, etc… dans ce cas elle peut même avoir un timbre différent. Le personnage marionnette est alors dans une situation d’écoute.
- Soit cette voix est un commentaire que le personnage marionnette se fait à lui-même.
Dans le cas d’une voix intérieure le personnage marionnette « entend des voix », il va donc se mettre en situation d’écoute intérieure. C’est la qualité de regard du personnage marionnette qui va nous en informer.
Sachant que, pour le regard, la présence majeure au monde est l’horizontale, il va se focaliser plus haut (intervention divine !) ou plus bas (conseiller intime !) dans une relative immobilité qui est le signe de l’intériorisation (l’immobilité est aussi signe d’écoute).
Dans le cas d’un commentaire ou d’une réflexion qu’il se fait à lui-même,
voici un exemple:
Un personnage marionnette est en conversation avec un interlocuteur (autre personnage marionnette ou le public directement). Cette conversation est donc bien phrasée, bien adressée.
Mais voilà qu’en même temps il a des états d’âme, il se fait des commentaires, il jauge son interlocuteur. Pour exprimer cela on va intercaler entre des moments phrasés des commentaires non phrasés. Simultanément à ces commentaires, le regard peut, soit continuer son observation de l’interlocuteur, soit s’en écarter pour expliciter que ce qui est dit ne s’adresse pas à l’interlocuteur.
Cela peut être drôle d’entendre le personnage marionnette prenant vraiment son interlocuteur pour un imbécile à l’insu de celui-ci (mais pas à l’insu du spectateur).
On pourrait aussi entendre ainsi l’argumentaire d’un marchandage.
C’est un jeu de code : Le spectateur comprend aisément que quand un personnage marionnette ne phrase pas, ce qui est dit est une aparté avec lui, spectateur. Son interlocuteur marionnette ne l’entend pas.
Si, pour aller encore plus loin, nous remplaçons l’interlocuteur marionnette par le spectateur lui-même, nous nous retrouvons dans une situation cocasse ou ce spectateur entend ce qu’il n’est pas censé entendre. En effet ce sont des commentaires que le personnage marionnette exprime à son encontre. C’est encore là l’arrêt du phrasé qui informe le spectateur de ce jeu.
En guise de conclusion : Une intelligence du texte
L’interprète marionnettiste doit avoir une intelligence du texte qui déborde le propos de ces notes. Il faut de l’air entre les mots. Le texte n’est pas une information sèche, il nous communique l’intériorité du personnage marionnette. Il témoigne des pulsations émotionnelles. Il obéi à une espèce de stratégie relationnelle avec l’interlocuteur.
Parfois un projectile, parfois une caresse, parfois une arme, parfois une tendresse… Des moments suspendus où l’information va avoir le temps de faire écho chez le spectateur… Des silences où le personnage marionnette va observer l’effet que font ses paroles sur le spectateur.
La marionnette est un instrument qui fait vibrer une parole vivante.
MARIONNETTE…NATURALISME ET SYMBOLISME
La marionnette est une métaphore. Elle n’est que du langage.
J‘appelle « Naturaliste » un jeu qui prend comme référence le comportement de l’être humain dans le contexte de « la vie réelle ».
J’appelle « Symboliste » un jeu qui donne une forme physique, visuelle et sensible à des états intérieurs, des émotions, des pensées, au delà de ce que le naturalisme peut en témoigner. Ce jeu se libère le plus souvent de la pesanteur pour inventer des postures, des situations, des chorégraphies avec la liberté du rêve. Il joue aussi avec les artifices du langage théâtral. Je ne fais pas parler les personnages de leur vie intérieure, je la montre dans un théâtre d’images, de gestes et de situations.
Bien sûr on retrouve des symboles partout. Les panneaux de signalisation, le sens du bal et de l’écriture, l’alphabet et les chiffres. Même le jeu de marionnette qui simule le réalisme ( étant une « reconstruction de langage » et non pas un copié collé) est une organisation de symboles, de signes car il est langage.
Mais quand je dis « Symbolisme » à coté de « naturalisme » je nomme deux qualité de l’écriture et de l’interprétation.
Bien sûr le jeu fait toujours référence au modèle humain, à la façon d’être de quelqu’un dans la vie « réelle ». Ceci se fait par similitude ou par contradiction. Un personnage marionnette qui marche sur un sol est immédiatement compris. Par contre s’il décolle et se met à évoluer en l’air! Il nous est indiqué que nous ne sommes plus dans un plan naturaliste. Cela n’a pas de signification aussi immédiate. Il faut interpréter. Rêve t’il? Est-il dans un cheminement de pensée? Est-il mort et revenant aux abord de sa vie passée? Est-ce un voyage astral? Ou l’expression d’un sentiment, d’une émotion?
Il faut interpréter!
C’est là que je place le terme « symbolisme. Quand il n’y a pas de relation évidente avec le monde « Réel », celui auquel nous sommes habitués, celui qui ne questionne pas plus que ça notre attention
Pour mettre en oeuvre ce type de jeu et nous y retrouver, quelques observations:
- Je remarque que la plupart du temps le personnage marionnette s’est libéré de la pesanteur. Là je ne parle pas des styles de jeu où on utilise une « illusion de sol » (comme la marionnette à gaine ou même Marottes et marionnette sur table jouées dans l’espace). Dans ce cas le sol est suggéré(c’est le jeu des personnages marionnettes qui le dessine) mais il est bien là et nous restons donc dans le domaine réaliste (c’est simplement un artifice de langage, le sol est « mimé »)
- On peut entrer dans le jeu symboliste en partant du jeu réaliste ou naturaliste et en y ajoutant des éléments « étrangers » comme des ralentis ou accélérés ou des expression d’émotions ou des prise en compte du « pied de la lettre » d’expressions comme: tomber de fatigue, crever de soif, tomber sur le cul, etc…
- Soit on revient immédiatement au jeu réaliste ce qui permet d’interpréter ce qui s’est passé comme un artifice de language.
- Soit on continue de développer ce jeu non réaliste et on est alors dans du symbolisme.
Mais on peut mettre bout à bout des parties de jeu naturalistes ou symbolistes ( ex: un personnage s’endort, rêve puis se réveille. On a joué le rêve dans un plan symboliste. Nouvelle question : comment passe t-on dans le jeu symboliste si un personnage qui dort reste normalement allongé dans son lit? La question est interessante. Il faut inventer une façon de faire qui fasse sens pour celui qui regarde.
- Si on entre de plein pied dans du jeu symboliste, alors la question qui se pose est: Dans quel espace, dans quelle réalité évolue le personnage. Le spectateur interprète les éléments qui lui sont donnés:
- Y à t il un contexte? Par exemple un décor ou même un objet, un meuble qui suggère une relation avec le personnage marionnette
- La posture du personnage ou sa gestuelle nous renseignent-elles?
- Y-a-t-il un contexte sonore…une voix?
- Quelles sont les actions/réactions du personnage marionnette par rapport à son environnement?
- Quelle est la dynamique du jeu?
- Etc….
On voit que le contact entre naturalisme et symbolisme peut être multiple. Mais il faut que le passage entre ces deux plans soit clair. Dans tous les cas notre tâche est d’organiser du language compréhensible pour la lecture du spectateur. S’il y a confusion nous perdons son attention